Interview Astrid Linder : la femme qui révolutionne la sécurité routière pour toutes
Récompensée par le prix de la femme de l’année par le jury du WWCOTY, la chercheuse Astrid Linder est la créatrice du premier mannequin de crash-test féminin. Notre envoyée spéciale Mia Liström a pu la rencontrer et lui poser quelques questions.
Aujourd’hui, les voitures sont plus sûres que jamais. Et cela, on le doit aux nombreuses technologies embarquées, mais pas seulement. En effet, pour s’assurer que les derniers modèles lancés sur le marché soient le plus sécurisés possibles, des crash-tests sont menés par les constructeurs ainsi que par des organismes indépendants comme EuroNCAP. Ainsi, des notes sont attribuées en fonction de différents scores et critères. Mais lors de ces tests, seuls des mannequins représentants des hommes ou des enfants sont utilisés, tandis que les femmes sont laissées de côtés.
Pourtant, ces dernières ont plus de risques de mourir dans un accident de voiture, car ces dernières ne sont pas adaptées à leur morphologie. C’est à ce sujet que s’intéresse la chercheuse Astrid Linder, qui travaille actuellement au VTI, l’institut en charge de la sécurité routière en Suède et qui vient de remporter le prix de la femme de l’année, décerné par le jury du WWCOTY, dont Une Fille au Volant fait partie. La journaliste Mia Liström a eu l’occasion de rencontrer la lauréate est de lui poser quelques questions, à retrouver ci-dessous.
Quand avez-vous commencé à vous intéresser à la sécurité routière ?
Astrid Linder : J’ai étudié l’ingénierie à l’Université de Chalmers dans les années 90 puis j’ai obtenu mon diplôme et j’ai trouvé un emploi en tant que doctorante là bas qui m’a tout de suite plu. La mission consistait à développer le premier mannequin de crash test au monde pour les collisions à basse vitesse afin d’évaluer la protection contre les blessures des tissus mous du cou, aussi appelées coup du lapin. À l’époque, il n’existait aucun mannequin ni test pour déterminer le type de collision le plus courant entraînant des blessures invalidantes. Le financement provenait de Vinnova (Swedsih Innovation Agency), qui s’appelait auparavant KFB et était le fruit d’une collaboration entre Volvo, Saab, Autoliv, Folksam et Chalmers. Le mannequin de crash test créé avait la taille d’un homme moyen, car c’est le modèle type de l’occupant que nous utilisons en tant que conducteur dans les tests de choc frontal et latéral. Après cela, j’ai travaillé à l’étranger en Australie et en Angleterre. J’ai également une longue expérience en tant que manager dans le domaine de la sécurité routière.
Comment l’idée de créer un mannequin féminin vous est-elle venue ?
Dans le cadre de mes études doctorales, j’ai découvert que les femmes couraient un plus grand risque de subir un coup du lapin que les hommes. Il est ensuite devenu logique pour moi de travailler à la conception d’un modèle qui représente cette partie de la population. La façon dont le corps est construit ne diffère pas entre les hommes et les femmes lorsque l’on considère les principales caractéristiques telles que les parties squelettiques, les organes et les parties molles, à l’exception des organes reproducteurs qui ne sont pas essentiels à la sécurité en cas d’accident. Les différences qu’il est important d’inclure dans les modèles d’évaluation de la protection contre les blessures lors d’une collision arrière à basse vitesse sont des éléments tels que la géométrie du haut du corps, comme la largeur des épaules et le centre de gravité du torse, qui sont plus élevés pour les hommes que pour les femmes.
Aujourd’hui, il n’est pas possible d’évaluer la protection d’une voiture neuve pour l’ensemble de la population adulte. L’évaluation de la sécurité en cas d’accident est effectuée en utilisant un homme moyen (géométrie, poids et taille) comme conducteur. Nous testons aussi avec des modèles enfants. Volvo a effectué des tests avec un modèle enceinte où l’étude portait sur la protection du fœtus. Toutefois, la protection des femmes n’a pas été étudiée. Ce qui m’anime, ce sont les statistiques de blessures qui servent de base à ce qui doit être développé et qui permettent de mieux identifier les innovations qui offrent la meilleure protection à l’ensemble de la population. Les travaux durent depuis plus de 20 ans
Quels obstacles avez-vous rencontré au fil des années ?
Les plus grands défis et revers au fil des ans ont été de trouver du financement pour la recherche. Mon objectif est que les futurs crash-tests seront effectués avec des mannequins qui représentent inclusivement les femmes et les hommes. Le but est nous puissions identifier lors des tests les voitures qui offrent à l’ensemble de la population la meilleure protection en cas d’accident. Dans la réglementation relative aux essais d’homologation de type utilisée en Europe, la CEE-ONU, il est clairement indiqué que ce qui est requis pour les contrôles techniques, c’est qu’un modèle d’homme moyen soit utilisé. Les entreprises suivent ce qui doit être suivi, rien de plus ne peut être exigé.
Ce dans quoi nous nous impliquons est important, car cela affecte l’évolution des réglementations. Développer un vaccin contre le Covid est par exemple incroyablement beaucoup plus difficile que développer un modèle de femme moyenne pour des crash tests et le développement du vaccin a été réalisé avec succès en peu de temps. Beaucoup de choses dépendent de ce que nous décidons de faire. Déjà en 2012, en collaboration avec Volvo, Chalmers et des partenaires européens, avons produit un modèle factice de crash-test mathématique d’une femme moyenne afin que des tests virtuels avec des modèles masculins et féminins puissent être effectués. Après cela, il a été largement admis qu’il était trop difficile et trop coûteux de développer un mannequin de crash-test représentant la partie féminine de la population.
Aimez-vous conduire ?
J’aime beaucoup conduire, j’ai une Saab 9-5 avec une boîte de vitesses manuelle. J’apprécie vraiment cette voiture, elle offre tellement de plaisir avec une excellente maniabilité, j’aime sa façon de réagir. Je n’ai pas encore trouvé de bonne remplaçante. Il existe de très bons systèmes de support dans les voitures modernes, mais il n’y a rien qui m’attire. J’ai obtenu mon permis de conduire à Stockholm à l’âge de 18 ans et depuis, j’ai toujours aimé conduire. Mais j’aime aussi voyager en train et en bus et j’aime aussi faire du vélo.
Que ressentez-vous après avoir reçu cette récompense ?
Je me sens très honorée et heureuse que ce projet reçoive attention et appréciation. Et ensemble, nous pouvons faire la différence. Fabriquer une auto nécessite un travail collectif et une interaction avec de nombreuses personnes talentueuses et d’autres entreprises. Il en va de même pour le développement d’une évaluation améliorée de la sécurité.
A quoi ressemble votre vision du futur ?
Dans le futur, je souhaite que nous améliorions ensemble la sécurité routière et que d’ici 2030 nous puissions évaluer la protection en cas d’accident pour les femmes et les hommes de manière inclusive.
Propos recueillis par Mia Liström